21 janv. 2017

Lettre de Simone Weil à Xavier Vallat, Commissaire aux questions juives

Abandonnant provisoirement sa carrière d’enseignante, la philosophe Simone Weil, après avoir été ouvrière chez Renault en 1934-1935, devient ouvrière agricole en 1941… C’est dans ce contexte qu’elle écrit cette incroyable lettre chargée de courage et d’ironie, à Xavier Vallat, Commissaire général aux questions juives, qui vient juste de formaliser le second statut des Juifs et leur recensement, ainsi que la loi du 22 juillet 1941 qui organise la spoliation des biens juifs par l’État Français. 
Simone Weil mettra ses parents à l’abri aux États-Unis en 1942 et se rendra en Grande-Bretagne pour y travailler comme rédactrice dans les services de la France Libre. Atteinte d’une tuberculose sans doute aggravée par sa période de vie ouvrière, Simone Weil meurt au sanatorium d’Ashford le 24 août 1943.

Weil Vallat
'Vous m'avez fait le don infiniment précieux de 
la pauvreté"

18 octobre 1941

Monsieur,

Je dois vous considérer, je suppose, comme étant en quelque sorte mon chef ; car, bien que je n’aie pas encore bien compris ce qu’on entend aujourd’hui légalement par Juif, en voyant que le ministère de l’Instruction publique laissait sans réponse, bien que je sois agrégée de philosophie, une demande de poste déposée par moi en juillet 1940 à l’expiration d’un congé de maladie, j’ai dû supposer, comme cause de ce silence, les présomptions d’origine israélite attachée à mon nom. Il est vrai qu’on s’est abstenu également de me verser l’indemnité prévue en pareil cas par le statut des Juifs ; ce qui me procure la vive satisfaction de n’être pour rien dans les difficultés financières du pays. — Quoi qu’il en soit, je crois devoir vous rendre compte de ce que je fais.

Le gouvernement a fait savoir qu’il voulait que les Juifs entrent dans la pro­duction, et de préférence aillent à la terre. Bien que je ne me considère pas moi-même comme juive, car je ne suis jamais entrée dans une synagogue, j’ai été élevée sans pratique religieuse d’aucune espèce par des parents libres-penseurs, je n’ai aucune attirance vers la religion juive, aucune attache avec la tradition juive, et ne suis nourrie depuis ma première enfance que de la tradition hellénique, chrétienne et française, néanmoins j’ai obéi.

Je suis en ce moment vendangeuse ; j’ai coupé les raisins, huit heures par jour, tous les jours, pendant quatre semaines, au service d’un viticulteur du Gard. Mon patron me fait l’honneur de me dire que je tiens ma place. Il m’a même fait le plus grand éloge qu’un agriculteur puisse faire à une jeune fille venue de la ville, en me disant que je pourrais épouser un paysan. Ignoré, il est vrai, que j’ai du seul fait de mon nom une tare originelle qu’il serait inhumain de ma part de transmettre à des enfants.

J’ai encore à faire une semaine de vendange. Ensuite je compte aller travailler comme ouvrière agricole au service d’un maraîcher chez qui des amis m’ont procuré une place. On ne peut pas, je pense, obéir plus complètement.

Je regarde le statut des Juifs comme étant d’une manière générale injuste et absurde ; car comment croire qu’un agrégé de mathématiques puisse faire du mal aux enfants qui apprennent la géométrie, du seul fait que trois de ses grands-parents allaient à la synagogue ?

Mais, en mon cas particulier, je tiens à vous exprimer la reconnaissance sincère que j’éprouve envers le gouvernement pour m’avoir ôtée de la caté­gorie sociale des intellectuels et m’avoir donné la terre, et avec elle toute la nature. Car seuls possèdent la nature et la terre ceux à qui elles sont entrées dans le corps par la souffrance quotidienne des membres rompus de fatigue. Les jours, les mois, les saisons, la voûte céleste qui tournent sans cesse autour de nous appartiennent à ceux qui doivent franchir l’espace de temps qui sépare chaque jour le lever et le coucher du soleil en allant péni­blement de fatigue en fatigue. Ceux-là accompagnent le firmament dans sa rotation, ils vivent chaque journée, ils ne la rêvent pas.

Le gouvernement, que vous représentez à mon égard, m’a donné tout cela. Vous et les autres dirigeants actuels du pays, vous m’avez donné ce que vous ne possédez pas. Vous m’avez fait aussi le don infiniment précieux de la pauvreté, que vous ne possédez pas non plus.

J’aurais hésité à vous écrire, sachant votre temps pris par d’innombrables soucis, mais vous ne recevez certainement pas beaucoup de lettres de remerciements de ceux qui se trouvent dans ma situation. Cela vaut donc peut-être pour vous les quelques minutes que vous perdrez à me lire.

Veuillez recevoir, Monsieur, l’assurance de ma haute considération.

Simone Weil

Weil 1Weil 2Weil 3Weil 4


Manuscrit original de la lettre :

parolesdefemmes

20 janv. 2017

Melancholia, Lars Von Trier (2011)

Synopsis :

 

Résultat de recherche d'images pour "Melancholia"À l'occasion de leur mariage, Justine et Michael donnent une somptueuse réception dans la maison de la soeur de Justine et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre...

Date de sortie: 10 août 2011 (2h 10min)

De: Lars von Trier

Avec: Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Alexander Skarsgård

Genres: Science fiction, Drame

Nationalités: Français, Danois, Suédois, Allemand




Résultat de recherche d'images pour "Melancholia"




Bande-annonce :







Intro (Kirsten Dunst)_Tristan & Isolda, Richard Wagner (Extrait):

  


VoirfilmenstreamingHD:http://www.film-streaming.co/melancholia-streaming.php



Melancholia : 


Un titre donne toujours beaucoup d'informations sur une œuvre. Le film est scindé en deux parties bien distinctes qui toutes deux donnent un sens bien différent au terme de "melancholia". Dans la première partie intitulée Justine (Kirsten Dunst), "melancholia" signifie "mélancolie", cet état proche de la dépression. Dans la seconde partie intitulée Claire (Charlotte Gainsbourg), Melancholia fait davantage référence à la planète Melancholia qui menace de s'abattre sur la Terre. 

Mais qu'est ce que la mélancolie au juste ?


Dans la Grèce Antique l'on considérait que la mélancolie était l'un des quatre tempéraments propres à l'être humain. Elle était aussi appelée la "bile noire". Cette mélancolie se manifeste alors sous la forme d'une tristesse profonde. L'esprit est lourd et torturé. Aujourd'hui, être mélancolique est assimilé à un état dépressif. Les Grecs considéraient que la mélancolie avait quelque chose à voir avec le génie (Cf: http://noteblanche.blogspot.fr/2015/07/le-genie-article.html), elle permettait également de dépasser des étapes douloureuses comme la mort. Qu'en est-il de Justine ? Doit-on voir en Justine une dépressive qui ne parvient pas à vivre ou doit appliquer la signification antique du terme ? Tout dépend évidemment de notre point de vue et de notre manière de ressentir les choses. Il est tout de même intéressant de dépasser notre vision actuelle et d'appliquer le terme antique. Le film semble même parfois aller dans ce sens. En effet, Justine n'arrive pas vraiment à expliquer ce qui l'a rend triste. En revanche, elle décrit ses visions apocalyptiques avec une intuition déstabilisante. 

En ce sens, l'état de Justine se rapproche plus du sens antique du mot "mélancolie". D'ailleurs, vers la fin du film, elle dit à sa sœur Claire qu'elle a un certain don pour voir les choses. Elle sait aussi bien combien la boîte contenait de haricots (678), que la fin est proche et qu'il n'y a , hélas, plus aucun espoir. Elle est aussi consciente que la vie n'existe que sur Terre et qu'après la destruction de la planète bleue, l'univers ne sera plus que néant. C'est cette mélancolie, qui dans un sens, va lui permettre d'accepter plus sereinement l'inévitable : la mort.

Une autre signification du terme "mélancolie" mérite également réflexion. Il s'agit du sens du mot "spleen". Étymologiquement, le mot "spleen" est très proche de "mélancolie" puisqu'il vient de splen qui signifie "rate" ou "bile" en grec ancien. Popularisé par Charles Baudelaire mais déjà connu au XIX ème siècle grâce au mouvement Romantique, le spleen est un état mélancolique dont on ne connaît pas l'origine. Intéressons nous tout de même au spleen développé par Baudelaire. Chez le poète, le spleen est dû à l'angoisse d'exister. Sans idéaux, Justine semble bel et bien avoir le spleen. En effet, elle répète sans cesse que la vie sur Terre est néfaste, qu'elle n'a plus aucun sens pour l'homme. Cette angoisse d'exister est aussi apparente chez Claire. En effet, lorsqu'elle celle-ci apprend que le néant approche, son angoisse prend le dessus.

Au fur et à mesure que le film avance, l'on sent qu'un certain lien unit Justine et Melancholia. Toutes deux ont déjà en elles mêmes ce pouvoir autodestructeur. Certaines scènes montrent leur union insolite. C'est pour cela que Justine apprécie la lumière de la planète sur son corps nu étendu au bord de l'eau, comme si elle pouvait enfin se laisser guider sans l'angoisse du lendemain. Dans cette scène, le personnage se dévoile pleinement au monde et à elle-même tout tout en embrasant la lumière chaude et sensuelle de Melancholia . C'est sans doute aussi pour cette raison que Justine est immédiatement attirée par Antarès, l'étoile rouge de la constellation du Scorpion qui disparaîtra à mesure que Melancholia avancera droit vers la Terre. La scène où Justine va se donner à Tim, le neveu de son patron au beau milieu du links, semble montrer un lien évident entre la sexualité de Justine et la planète, un peu comme le rapport que l'on peut trouver entre la sexualité et les astres, la pleine lune... Comparée à la lune grâce à sa visibilité la nuit, Melancholia détient sans doute une influence sur la sexualité de Justine.

Melancholia

Les références artistiques : 


Si nous avons insisté sur le fait que les Romantiques avaient déjà travaillé sur le spleen, cette mélancolie si singulière, c'est parce que le film de Lars Von Trier est truffé de références au Romantisme. 
Tout d'abord, l'affiche est très éloquente. Elle fait référence à Ophelia du peintre pré-raphaelite Sir John Everett Millais.


http://img225.imageshack.us/img225/3992/meleee.jpg

Ce tableau peint par Sir John Everett Millais en 1851-1852 met en scène Ophelia, personnage féminin de la pièce Hamlet de Shakespeare. Blessée par la vie, elle décide de se donner la mort en se laissant flotter, puis couler dans l'eau :


La reine

Au-dessus du ruisseau penche un saule, il reflète
dans la vitre des eaux ses feuilles d’argent
Et elle les tressait en d’étranges guirlandes
Avec l’ortie, avec le bouton d’or,
Avec la marguerite et la longue fleur pourpre
Que les hardis bergers nomment d’un nom obscène
Mais que la chaste vierge appelle doigt des morts.
Oh, voulut-elle alors aux branches qui pendaient
Grimper pour attacher sa couronne florale ?
Un des rameaux, perfide, se rompit
Et elle et ses trophées agrestes sont tombés
Dans le ruisseau en pleurs. Sa robe s’étendit
Et telle une sirène un moment la soutint,
Tandis qu’elle chantait des bribes de vieux airs,
Comme insensible à sa détresse
Ou comme un être fait pour cette vie de l’eau.
Mais que pouvait durer ce moment ? Alourdis
Par ce qu’ils avaient bu, ses vêtements
Prirent au chant mélodieux l’infortunée,
Ils l’ont donnée à sa fangeuse mort.

Laërte    

Hélas, elle est noyée?

La reine    

Noyée, noyée

William SHAKESPEARE, Hamlet, Scène IV, Acte VII
AVOIRSURCEBLOG:http://noteblanche.blogspot.fr/2016/11/hamlet-2000-michael-almereyda-2000.html


Cette œuvre qui apparaît aussi dans le film est intéressante car elle fait référence à la gravure Melancholia de Dürer (1514). 
Au fond de la gravure, l'on notera la manière dont le mot "melancholia" apparaît et qui n'est pas sans rappeler la manière dont Lars Von Trier a titré son film : 


Melancholia de Dürer



Un film, deux parties : 


Le découpage en deux parties évoque à la fois la collision des deux planètes mais aussi la collision de deux visions du monde : celle de Justine et celle de Claire.

La deuxième partie consacrée à Claire permet d'équilibrer le film. En effet, après une partie étrange et contradictoire, Claire apporte sa dose de raison. Les spectateurs se sentiront d'ailleurs plus proche de ce personnage que de Justine. Dévouée à sa sœur malade, elle sombre peu à peu dans l'angoisse à mesure que la planète se rapproche de la Terre. Paraissant faible face à son mari confiant, elle ne cède pas comme elle avait prévu de le faire. Elle décide de se battre jusqu'au bout même si tout espoir est mort. Ce dévouement d'amour envers sa sœur, puis son fils est poignant, tout comme cette peur du néant que beaucoup d'entre nous ont. Melancholia est en fait un film profondément humain notamment grâce aux personnages féminins. D'un côté, Justine a peur de vivre et de l'autre Claire a peur de mourir. La fatalité du destin est à la fois angoissante et insupportable. Toutes les peurs existentielles sont présentes et caractérisées par les personnages.


Melancholia est aussi humain pour l'éventail d'émotions proposées aux spectateurs : de l'amour à la haine, Claire répète souvent à sa sœur : "Parfois, je te hais tellement". Le film parvient à émouvoir, et à envoûter le spectateur ne serait-ce que dans les liens humains représentés.

L'apocalypse annoncée dans le film de Lars Von Trier semble parfois faire écho à l'une des préoccupations actuelles de la société : la destruction de la planète. Par destruction de la planète, entendons préoccupation écologique et pour certains : 2012, la catastrophe annoncée, etc. Reste à savoir si ce film est prophétique ...

Melancholia

Avec sa richesse esthétique et thématique, ses interprétations féminines fortes, émouvantes et parfois troublantes, Melancholia est incontestablement l'un des plus beaux films de l'année 2011.


Blas P. (La Note blanche)



Melancholia, Galerie : 



Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" 
Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" 

Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" 

Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" 

Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" 

Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia" Résultat de recherche d'images pour "Melancholia"