4 nov. 2015

Lettre de Francis Scott Fitzgerald et Zelda Fitzgerald

Après les années folles de ce couple légendaire à Paris, l’incarnation du rêve américain, les premiers déboires apparaissent. Les succès littéraires de son époux relèguent Zelda au second plan, et toutes ses tentatives pour atteindre la célébrité, notamment comme danseuse, s’avèrent vaines. Sombrant alors lentement dans la schizophrénie, elle perd la tête dans des hôpitaux psychiatriques. Son mari essaie alors de l’aider à surmonter ses troubles.

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"Nous n'avons pas été heureux rien qu'une fois, 
nous avons été heureux mille fois

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26 avril 1934

Pardonne-moi de dicter cette lettre au lieu de l’écrire directement, mais si tu voyais mon bureau en ce moment et la quantité de choses qui sont arrivées tu comprendrais.

La chose que tu dois combattre est le défaitisme sous toutes ses formes. Tu n’as rien qui le justifie. Tu n’as jamais eu vraiment un tempérament mélancolique mais, comme l’a dit ta mère : on t’a toujours connue pour ton attitude rayonnante, gaie, tout-ouverte sur la vie. Spécialement, je veux dire que tu ne partages d’aucune façon le point de vue mélancolique qui semble avoir été le lot d’Anthony et de Marjorie. Toi et moi avons connu des jours merveilleux dans le passé et l’avenir est encore radieux de possibilités si tu conserves bon moral et que tu essaies de voir ainsi les choses. Le monde autour de nous, la situation politique, etc., est encore désolant et cela ne manque pas d’affecter directement un chacun, et indirectement cela t’atteindra inévitablement mais essaie d’y échapper par quelque procédé d’hygiène mentale — au besoin, de ton invention.

Laisse-moi répéter que je ne veux pas que tu te soucies tant de mon livre, qui est un ouvrage mélancolique et qui semble avoir hanté la plupart des critiques. Je suis très inquiet que tu sois en train de le relire. Il représente des phases de l’existence qui maintenant sont finies. Assurément nous sommes portés par une vague ascendante, même si nous ignorons encore exactement où elle se dirige.

Il n’y a aucun sentiment de tristesse de ta part qui ait la moindre légitimité. Tes tableaux ont eu du succès, ta santé est bien meilleure, au dire des médecins — et le seul élément de tristesse est de vivre sans toi, sans entendre les notes de ta voix avec ses inflexions intimes particulières.

Toi et moi avons été heureux ; nous n’avons pas été heureux rien qu’une fois, nous avons été heureux mille fois. La chance que le printemps, qui est pour tout le monde, comme dans les chansons, peut être nôtre aussi — cette chance est assez brillante en ce moment parce que comme d’habitude, je peux tenir la plupart de l’opinion littéraire contemporaine, liquéfiée dans le creux de ma main — et ce faisant, j’y vois voguer un cygne et — il apparaît que c’est toi et toi seule. Mais, Cygne, vogue doucement car tu es cygne, car par la ligne exquise de ton col les dieux t’ont imparti une faveur spéciale, et même si tu l’as fracturé en heurtant un pont de main d’homme, la blessure est guérie et tu as repris ta course.

Oublie le passé — ce que tu peux en oublier, et tourne-toi pour t’en revenir vers moi, vers ce havre qui est tien à jamais — même si, parfois, il peut sembler un antre ténébreux qu’éclairent des torches furieuses ; c’est pour toi le meilleur refuge — tourne-toi doucement dans les flots où tu vogues et reviens.

Cela semble une allégorie mais c’est très réel. Je veux que tu sois ici — La tristesse du passé ne me quitte jamais. Les choses que nous avons faites ensemble et les déchirures qui dans le passé ont fait de nous les survivants brisés d’une guerre demeurent comme une espèce d’atmosphère alentour de chaque maison où j’habite. Les bonnes choses et les premières années tous les deux, et les bons mois passés il y a deux ans à Montgomery ne me quitteront jamais, et tu devrais sentir comme moi qu’ils peuvent se renouveler, sinon dans un nouveau printemps, alors dans un nouvel été. Je t’aime ma chérie, chérie.

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