Adepte de l’absurde et de l’humour noir, il a créé des personnages très singuliers, de Gai-Luron au professeur Burp, en passant par Superdupont…
Marcel Gottlieb, plus connu sous le pseudonyme de « Gotlib », est mort, dimanche 4 décembre, à l’âge de 82 ans, a fait savoir son éditeur. Il s’est fait avant tout connaître pour ses histoires humoristiques comme Gai-Luron et la Rubrique-à-brac.
« Les millions de lecteurs ayant appris à rire dans les pages de la “Rubrique-à-brac”, des “Dingodossiers” ou de “Gai-Luron” perdent un humoriste fascinant, un dessinateur virtuose, un touche-à-tout iconoclaste et un ami cher qui parvenait à provoquer le rire à la moindre de ses pages », ont annoncé à l’Agence France-Presse les éditions Dargaud.
Gotlib, Site officiel: https://marcelgotlib.com/
Gotlib,Biographie,bibliographie,galerie:http://www.bedetheque.com/auteur-3636-BD-Gotlib.html
Fluide Glacial: http://www.fluideglacial.com/
Humour noir et personnages fous :
Né à Paris le 14 juillet 1934 d’une famille d’immigrés juifs, Marcel Gottlieb, adepte du dérisoire, de l’absurde et de l’humour noir, a créé des personnages très singuliers au sein de la BD française, de Gai-Luron au professeur Burp, en passant par Isaac Newton, la Coccinelle, Superdupont, Hamster Jovial, Perver Pepere…
Gotlib entame en 1962 sa carrière de dessinateur chez Vaillant, hebdomadaire pour enfants qui deviendra Pif-Gadget. Il n’a que 18 ans, mais son trait assuré est déjà parfaitement reconnaissable dans Nanar et Jujube, ses deux premiers héros, un jeune garçon et son renard apprivoisé, auxquels il adjoindra bientôt un chien : Gai-Luron.
Avec ce cabot neurasthénique inspiré de Droopy, Gotlib quitte d’un coup le dessin gentillet pour enfants et passe à une BD à l’humour décapant qui sera la marque de fabrique de toute sa carrière. « Gai-Luron, le pauvre qui est toujours oublié. Gai-Luron, qui m’a mis le pied à l’étrier. Gai-Luron est le mal aimé de tous mes travaux », râlait Gotlib.
L’hyène et le professeur Burp :
En 1965, le jeune dessinateur n’aura qu’à frapper chez Pilote pour que René Goscinny l’embauche sur le champ. Honneur suprême, le créateur d’Astérix partage avec lui une double page de gags sur des sujets a priori sérieux, les Dingodossiers.
Lorsque Goscinny, harassé de travail, lâche entièrement la bride, Gotlib crée la Rubrique-à-brac à partir de 1968. C’est l’œuvre dont Gotlib se disait le plus fier. Quant au gag qui le faisait le plus rire, c’est celui de l’hyène présentée comme il se doit par le professeur Burp, « encore qu’il m’arrive rarement de rire de mes propres travaux », jurait-il.
L'humour et la religion, des noces funèbres :
1973, ce n’est pas si loin. Cette année-là, le magazine pour adolescents Pilote publiait dans ses pages, des planches signées Gotlib et intitulées « God’s club ». Elles devaient ensuite paraître dans une édition de la « Rubrique à brac ». On y voyait quelques dieux faire bombance, plaisanter, se moquer les uns des autres puis regarder un film pornographique, érections à l’appui, et faire semblant d’en être choqués. Il y avait là Zeus, Gaston Jéhovah, Jésus Christ, Louis Bouddha, Pierre Odin et Claude Allah. De quoi affoler, si l’avait fallu, plus des trois-quarts de la planète.
Et que pensez-vous qu’il se produisit ? Rien. Pilote ne fut pas incendié par qui que ce soit, Aucune troupe ne fut postée aux abords des délégations françaises à l’étranger et Gotlib a pu continuer, sans être inquiété, à boire son café dans son bistrot parisien préféré. A la même époque Coluche riait des rites catholiques, commentant une course de processions à la manière de Léon Zitrone, Monsieur tiercé de ces années-là.
Entre 1973-2012, ce qui a changé :
Moins de quarante années sont passées. Une paille à l’échelle religieuse. Entre temps, Jean-Edern Hallier a pu écrire son « Evangile du fou », mélangeant humour et sainteté. Les Monty Python ont pu montrer en 1979 leur vie de Brian, histoire décalée d’un prophète qui ressemblait fichtrement à Jésus. Puis Martin Scorsese, pourtant strictement respectueux des Ecritures et éloigné de tout humour a porté à l’écran en 1988 « La dernière tentation du Christ ». Les catholiques intégristes montèrent au créneau, incendièrent des cinémas dont un ne rouvrit jamais, ils causèrent la mort d‘une personne et 14 autres furent blessées.
Entre Gotlib et Charb, le patron de Charlie Hebdo et auteur des caricatures publiées en ce mois de septembre 2012, un peu plus de trois lustres se sont écoulés. Trente neuf années au cours desquelles, peu à peu, la religion a quitté le domaine de la foi pour rejoindre celui du politique. Quelle que soit leur religion, ceux qui l’ont permis ou le permettent ont pris le risque de désacraliser son expression, en quelque sorte de la faire tomber dans le domaine public séculier, de la soumettre à la critique, voire à l’humour.
Mais que l’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas que l’on en rie qui affecte de choquer ceux qui sont prêts à tuer, et parfois à mourir sur commande. Ce qui fait prétexte à toute réaction, c’est la simple représentation par d’autres que ceux qui s’en ressentent le droit unique et imprescriptible. La meilleure preuve en est que l’affaire des caricatures de Mahomet, la première comme celle qui occupe l’actualité aujourd’hui, a vu se former une coalition des religieux de toutes obédiences. S’agit-il vraiment pour eux de défendre les tenants d’une foi qu’ils auraient pu dans un passé pas si lointain ou dans des contrées pas si lointaines combattre armes à la main ? Non, bien sûr, il s’agit davantage de protéger, à travers celui de leur voisin de croyance, leur propre pré carré.
Et l'humour ?
L’humour est un luxe incompatible avec tout extrémisme surtout religieux, dans la mesure où il commence par imposer une distance entre soi et sa propre interprétation du monde et de la réalité. Pierre Desproges disait à son époque, pas si lointaine non plus « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ». En prononçant cette phrase de bon sens celui qui, bien que malade pouvait rire du cancer, n‘anticipait pas la mondialisation. Pourquoi Pierre Desproges n’a-t-il pas encouru les foudres de la censure, lui qui, en son temps, avait osé se moquer des juifs ? Les spectacles disponibles sur YouTube, suffisent à faire entendre la différence. Pierre Desproges se rit de certains comportements juifs, tout en ridiculisant l’antisémitisme. Son humour décapant n’altère jamais son humanité, il ne cherche jamais à provoquer la jouissance du spectateur en réveillant ses haines. Il l’interpelle et lui fait partager son inquiétude et sa fragilité. Aujourd’hui une plaisanterie en page 5 d’un journal vendu à quelques milliers d’exemplaires peut mettre le feu à la planète. Une bêtise filmée par un tenant d’un autre extrémisme peut provoquer la mort de dizaines de personnes à des milliers de kilomètres. Une nouvelle illustration tragique celle-ci, de l’effet papillon ...
Gotlib et la musique :
Hamster Jovial voit le jour au début des années 1970, quand le rédacteur en chef de Rock & Folk propose à Gotlib de dessiner quelques petites planches rigolotes. Ça tombe bien, car en plus d’être rigolo et d’être un excellent dessinateur, Gotlib est également un fan de rock.
Et quel meilleur moyen pour clamer son amour du rock que de le faire au travers d’un chef scout ? Un chef scout qui aurait bien sûr pour Sainte Trinité : Sex, Drugs & Rock’n’Roll... En version champion de la loose... Car Hamster Jovial se traîne une sacrée dose de naïveté et de crétinerie derrière lui.
Hamster Jovial est un pauvre gars obsédé par la pop culture, mais qui n’en saisi pas vraiment toute l’essence. Hamster Jovial est l’image de quelqu’un bloqué entre deux époques, entre deux générations. Hamster Jovial est certainement le scout le plus drôle du monde. Hamster Jovial est un héros des temps modernes... Entouré de ses trois louveteaux (deux garçons et une fille), il doit affronter le monde qui change, dans ses mœurs, dans sa culture. Et les plus vieux ne sont pas vraiment les plus matures. Car Hamster Jovial est surtout un grand gosse !
Et pour Gotlib, Hamster Jovial, c’est l’occasion de s’en donner à cœur joie : tout est prétexte pour décortiquer cette évolution des mœurs. Libération sexuelle, féminisme, religion (scout toujours !), fumage de pétards et bien sûr, musique rock, tout passe à la moulinette du dessinateur pour notre plus grand bonheur.
Même son héros se fait martyriser à chaque nouvelle aventure et on doit bien l’avouer : on adore ça ! Et si vous voulez un bon aperçu de ce qui vous attend, autant céder la parole à Gotlib lui-même : « ...Le mec voit Mick Jagger dans Gimme Shelter et s’achète un slip vachement moulant pour remplacer son gros short baveux. Et il se met à chanter “Flamme pure et légère” à la manière de Mick Jagger, en donnant des grands coups de rein et en tortillant du cul. Les mômes le regardent et ça les excite de plus en plus, jusqu’au moment où ils se ruent sur Hamster Jovial, lui arrachent son short et le gars se retrouve à poil et dit : “Dieu m’est témoin que je n’ai pas voulu cela.” Ce qu’il y a de marrant, c’est qu’à l’époque, je n’avais pas vu Gimme Shelter. Je l’ai vu il y a peu de temps et je m’aperçois que ça collait drôlement bien avec l’esprit du gag. » .
Rock & Roll, inclassable et incontournable donc. Mais comme beaucoup de BD, pourquoi s’acharner à écrire des pavés dessus. Lisez le et on en rediscutera plus tard. Allez, all touguézeur nao : « Flamme pu-u-ure et légè-re... » !
Blas P. (La Note blanche)
Blas P. (La Note blanche)
Extraits Vidéos/Archives :
- Rencontre avec Gotlib | Archive INA
- Coluche et le terrorisme d'Etat (sketch censuré)
- Monty Python - "Always Look on the Bright Side of Life"
- Les Juifs par Pierre Desproges