Lorsqu’il écrit cette lettre, le poète de langue allemande Paul Celan (1920-1970) vient d’apprendre la nouvelle de la mort brutale d’Albert Camus. En effet, l’auteur de L’Étranger trouve la mort dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960, alors qu’il revient d’un séjour en Provence. Triste nouvelle pour le monde des lettres : Michel Gallimard (le neveu et fils spirituel de l’éditeur du même nom) perd également la vie dans cet accident.
"Point de consolation, point de mots"
6 janvier 1960
René Char ! Je voudrais vous dire, en ce moment, qui est celui de votre peine, quelle est ma peine.
Le Temps s’acharne contre ceux qui osent être humains — c’est le temps de l’anti-humain. Vivants, nous sommes morts, nous aussi. Il n’y a pas de ciel de Provence ; il y a la terre, béante, et sans hospitalité ; il n’y a qu’elle. Point de consolation, point de mots. La pensée — c’est une affaire des dents. Un mot simple que j’écris : cœur. Un chemin simple : celui-là.
René Char, il y a ce chemin-là, c’est le seul, ne le quittez pas. (Vous l’avez quitté, je vous ai vu le quitter, vous avez su nous faire mal, à la légère, vous nous avez peiné, alors que a peine vous avait ouvert nos cœurs.)
Ai-je le droit de vous dire ceci ? Je ne sais. Je vous le dis. Ajoutez-y un mot ou un silence.
Je vous adresse ces mots — qui sont des mots — après la mort d’Albert Camus.
Soyez vrai, toujours.
Paul Celan
il n’y a qu’elle. Point de consolation noticias, point de mots. La pensée c’est une affaire des dents
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