27 févr. 2020

Synesthésie et symbolisme :

Le symbolisme apparaît en 1871. Dans l'histoire littéraire, le symbolisme appartient à un mouvement littéraire et poétique français qui, en réaction contre le naturalisme et le Parnasse, s'efforça de fonder l'art sur une vision symbolique spirituelle du monde. Ce mouvement est traduit par des modes d'expressions poétiques nouveaux grâce à des poètes comme Rimbaud, Mallarmé ou Verlaine. Selon une définition de Jean-Paul Sartre : "Le symbolisme découvre l'étroite parenté de la beauté et de la mort". De part son aspect mystérieux et énigmatique, le symbolisme s'épanouit aussi dans la musique. 

D'après Paul Valéry : "Le mot symbolisme fait songer les uns à l'obscurité, à l'étrangeté, à la recherche excessive dans les arts, d'autres y découvrent je ne sais quel spiritualisme esthétique, ou quelle correspondance des choses visibles avec celles qui ne le sont pas"

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Frank Von Stuck : Orphée, 1891


Correspondances

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Charles Baudelaire


En effet, l'objectif du symbolisme est de rendre visible ce qui est invisible, de faire entrevoir aux lecteurs l'indicible par le biais de l'art. Cette conception artistique engendre très vite un certain idéalisme. Pour les symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à une existence rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les "Correspondances" qui frappent d'inanité le cloisonnement des sens : sons, couleurs, visions participent d'une même intuition qui fait du poète une sorte de mage. Le poème des "Correspondances" de Baudelaire constitue donc une sorte de manifeste pour le symbolisme : "La Nature est un temple où (...) les parfums, les couleurs et les sons se répondent".

Dans la littérature, le mouvement du symbolisme trouve donc ses racines dans Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire, le poème Voyelles de Rimbaud. En revanche, l'esthétisme du symbolisme à proprement parler fut développé par Stéphane Mallarmé : Un Coup de dés n’abolira jamais le hasard. L'influence de Mallarmé sera considérable, ce qui entraînera la poésie vers l'hermétisme. En effet, dans l'univers de l'écrivain, le poème devient un monde refermé sur lui-même dont le sens naît de la résonance. C'est en lisant Hegel que Mallarmé à découvert que si le "ciel est mort"", le néant est un point de départ qui conduit au Beau et à l'idéal baudelairien. Le vers se fait donc couleur, musique et s'enrichit de la sensation. Il devient "concours de tous les arts suscitant le miracle". C'est avec Mallarmé que la suggestion devient le fondement de la poétique antiréaliste. Par conséquent, le symbolisme cherche ce qui se dissimule en-dessous du mot, à rendre visible ce qui est invisible. Pour résumé, Mallarmé donnera une tout autre dimension à l'écriture grâce à son Coup de dés, publié en 1897. Dans cette oeuvre phare, l'auteur fait éclater le moule traditionnel du poème. En effet, il invente ou réorganise la poésie dans l'espace et joue non seulement des mots mais aussi de leur typographie. Le poète donne à voir de nouveaux rapports idéographiques et spatiaux faisant de la poésie une partition musicale, plus complexe et plus libre : "Les blancs en effet, assument l'importance (...) pour qui veut lire à haute voix une partition". Ainsi, la musique devient un prolongement de l'art poétique, elle devient un autre langage, elle devient un idéal à atteindre.

Grâce à ce nouveau souffle d'inspiration, la synesthésie des couleurs et des sons se répondent et la fameuse dichotomie de Baudelaire, oscillant entre le spleen et l'idéal, représente la dualité permanente que veut illustrer le symbolisme : le rapport au Moi. Dans les années 1880, l'esthétique symboliste s'étaye à travers une série de manifestes, dont celui de Jean Moréas, et attire une nouvelle génération d'écrivains. Par exemple, la traduction en français par Baudelaire de l'oeuvre d'Edgard Allan Poe a été d'une influence considérable car il fut à l'origine de plusieurs tropes et images du symbolisme. 

Mais qu'est-ce que la synesthésie ? Du grec syn (avec ou union) et aesthesis (sensation), cette figure de style trouve son origine dans un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Grâce à l'épanouissement qu'offre la synesthésie, le symbolisme s'étend à travers les arts comme la peinture, la poésie et la musique.


Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -

A. Rimbaud



Ici, le poète joue avec les mots, les lettres, les couleurs et les sons (bombinent, rire, colère, vibrements, strideurs) en un tableau très coloré déjà précurseur des Illuminations. Les voyelles deviennent des objets avec lesquels on peut s'amuser et qui portent en elles leurs propres réalités, sens et couleurs (naissances latentes). Les couleurs ont une valeur symbolique. Pour le noir, la cruauté, la nuit (puanteur cruelle, golfes d'ombre) ; pour le blanc, la fierté, la pureté, la légèreté ; pour le rouge, le sang, les lèvres, la colère, les excès ; pour le vert, la sérenité et la paix ; pour le bleu, évocation religieuse des cieux (suprême clairon, anges). Et il passe au violet pour l'évocation des yeux de La Femme. Peut-être une allusion à la jeune personne qui l'aurait accompagné à Paris en février 1871, d'après ses amis. Un point de départ à l'idée du poème, un abécédaire qu'il a du avoir entre les mains, comme tout enfant, quand il apprenait à lire. A chaque lettre correspondait une couleur et un certain nombre de mots : A noire, pour Abeille, Araignée, Astre, Arc-en-Ciel. E était jaune pour Emir, Etendard, Esclave, Enclume. I rouge pour Indienne, Injure, Inquisition, Institut. O azur pour Oliphant, Onagre, Ordonnance, Ours. U vert pour Ure, Uniforme, Urne, Uranie et Y orange pour Yeux, Yole, Yeuse, Yatagan. Une autre interprétation, tirée de la biographie de Rimbaud par Pierre Petitfils, et certainement la plus vraisemblable : Le sonnet est le reflet de l'enseignement musical d'Ernest Cabaner : le chromatisme musical ou audition colorée. Il apprenait le piano à Rimbaud, à l'hôtel des Etrangers, lieu de réunion du Cercle Zutique. Cabaner était le barman et Rimbaud a été son assistant au club pendant quelques mois, ce qui lui permettait de dormir sur place. Musicien bohème arrivé à Paris en 1850, Cabaner fréquentait de nombreux peintres dont Cézanne. Il coloriait les notes et leur attribuait le son d'une voyelle. La méthode avait déjà été imaginée pour les débutants par le Père Castel, au XVIIème siècle. Elle ne pouvait qu'intéresser Arthur, à la recherche d'une langue complète et universelle, résumant tout, "parfums, sons, couleurs", telle que décrite dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871.

Peut-on parler d'un art total ? L'impalpable et la volonté de créer un art total qui ferait se correspondre tous les arts en général est une des ambitions essentielles du symbolisme. Par exemple, le poète va chercher dans la musique une autre forme d'écriture poétique. Verlaine prônait "la musique avant tout"  et Mallarmé s'évertuait à composer des partitions de mots dans lesquels la suggestion de l'indicible dominent.


Blas Priscille (La Note blanche)



Un Coup de dés n'abolira jamais le hasard, S. Mallarmé (Préface) : 



"J’aimerais qu’on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l’oubliât ; elle apprend, au Lecteur habile, peu de chose situé outre sa pénétration : mais, peut troubler l’ingénu devant appliquer un regard aux premiers mots du Poème pour que de suivants, disposés comme ils sont, l’amènent aux derniers, le tout sans nouveauté qu’un espacement de la lecture. Les “blancs”, en effet, assument l’importance, frappent d’abord ; la versification en exigea, comme silence alentour, ordinairement, au point qu’un morceau, lyrique ou de peu de pieds, occupe, au milieu, le tiers environ du feuillet : je ne transgresse cette mesure, seulement la disperse. Le papier intervient chaque fois qu’une image, d’elle-même, cesse ou rentre, acceptant la succession d’autres et, comme il ne s’agit pas, ainsi que toujours, de traits sonores réguliers ou vers — plutôt, de subdivisions prismatiques de l’Idée, l’instant de paraître et que dure leur concours, dans quelque mise en scène spirituelle exacte, c’est à des places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisemblance, que s’impose le texte. L’avantage, si j’ai droit à le dire, littéraire, de cette distance copiée qui mentalement sépare des groupes de mots ou les mots entre eux, semble d’accélérer tantôt et de ralentir le mouvement, le scandant, l’intimant même selon une vision simultanée de la Page : celle-ci prise pour unité comme l’est autre part le Vers ou ligne parfaite. La fiction affleurera et se dissipera, vite, d’après la mobilité de l’écrit, autour des arrêts fragmentaires d’une phrase capitale dès le titre introduite et continuée. Tout se passe, par raccourci, en hypothèse ; on évite le récit. Ajouter que de cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites, ou son dessin même, résulte, pour qui veut lire à haute voix, une partition. La différence des caractères d’imprimerie entre le motif prépondérant, un secondaire et d’adjacents, dicte son importance à l’émission orale et la portée, moyenne, en haut, en bas de page, notera que monte ou descend l’intonation. Seules certaines directions très hardies, des empiètements, etc., formant le contre-point de cette prosodie, demeurent dans une œuvre, qui manque de précédents, à l’état élémentaire : non que j’estime l’opportunité d’essais timides ; mais il ne m’appartient pas, hormis une pagination spéciale ou de volume à moi, dans un Périodique, même valeureux, gracieux et invitant qu’il se montre aux belles libertés, d’agir par trop contrairement à l’usage. J’aurai, toutefois, indiqué du Poème ci-joint, mieux que l’esquisse, un “état” qui ne rompe pas de tous points avec la tradition ; poussé sa présentation en maint sens aussi avant qu’elle n’offusque personne : suffisamment, pour ouvrir des yeux. Aujourd’hui ou sans présumer de l’avenir qui sortira d’ici, rien ou presque un art, reconnaissons aisément que la tentative participe, avec imprévu, de poursuites particulières et chères à notre temps, le vers libre et le poème en prose. Leur réunion s’accomplit sous une influence, je sais, étrangère, celle de la Musique entendue au concert ; on en retrouve plusieurs moyens m’ayant semblé appartenir aux Lettres, je les reprends. Le genre, que c’en devienne un comme la symphonie, peu à peu, à côté du chant personnel, laisse intact l’antique vers, auquel je garde un culte et attribue l’empire de la passion et des rêveries ; tandis que ce serait le cas de traiter, de préférence (ainsi qu’il suit) tels sujets d’imagination pure et complexe ou intellect : que ne reste aucune raison d’exclure de la Poésie — unique source."



Un Coup de dés n'abolira jamais le hasard, S. Mallarmé Fichier PDF



Analogies et correspondances : la synesthésie



Couleurs et figures géométriques. Kandinsky établit une corrélation entre les trois formes géométriques élémentaires et les trois couleurs primaires : triangle jaune, carré rouge, cercle bleu.

Couleurs, nombres et notes. Newton (1704) était convaincu qu'il devait y avoir une correspondance entre les diverses couleurs et les notes de la gamme. Le père Castel, qui s'oppose à lui en tout quant aux couleurs, cherche cependant la même correspondance. Voltaire, dans les Éléments de philosophie de Newton (1738), p. 182, résume : "La plus grande réfrangibilité du violet répond à ré ; la plus grande réfrangibilité du pourpre répond à mi." Violet/ré, pourpre/mi, bleu/fa, vert/sol, jaune/la, orange/si, rouge/do (ut). Voltaire ajoute : "Cette analogie secrète entre la lumière et le son donne lieu de soupçonner que toutes les choses de la nature ont des rapports cachés que peut-être on découvrira quelque jour." Un occultiste du XIXe siècle, maître Philippe de Lyon, soutenait ceci : "Les sons, comme la lumière, sont formés de couleurs qui exercent une grande influence sur l'organisme. Do (rouge) : il excite le cerveau et agit sur l'estomac et les intestins. Ré (orangé) : il agit sur l'estomac, l'abdomen, les intestins... Mi (jaune) : action sur le cœur, la rate. Fa (vert) : il contracte le diaphragme. Sol (bleu) : il agit principalement sur la partie supérieure des organes et sur les bras. La (indigo) : donne des tremblements (cœur et région cardiaque). Si (violet) : elle agit directement sur le cœur lui-même." Dans son livre, Du spirituel dans l'art (1911), Kandinsky justifie les couleurs par leur musique, il assimile les couleurs à des sons. Klee compare les couleurs à des voix.

 

Vassily Kandinsky (1866-1944) : 
Considéré comme l’un des artistes les plus importants du XXe siècle aux côtés notamment de Picasso et de Matisse, il est un des fondateurs de l’art abstrait...



Blas P. (La Note blanche)

2 commentaires:

  1. Grâce à ce nouveau souffle d'inspiration, la synesthésie des couleurs et des sons se répondent Ver peliculas online et la fameuse dichotomie de Baudelaire

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  2. En effet, l'objectif du symbolisme est de rendre visible ce qui est invisible, de faire entrevoir aux re pelis lecteurs l'indicible par le biais de l'art. Cette conception artistique engendre très vite un certain idéalisme. Pour les symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à une existence rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les "Correspondances"

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