3 févr. 2016

"Hamlet ou la douleur d’exister"

Introduction :



Le théâtre élizabéthain a eu son heure de gloire de 1572 à 1603. Elizabeth 1er a protégé le théâtre en Angleterre. C'est la rivale de Marie Stuart et la fille de Henri VIII. Elle est très cultivée et a joué deux rôles :
- A l'époque, les troupes étaient ambulantes. La reine va obliger les comédiens à s'attacher à un seigneur et à s'organiser en troupe, ce qui va amener la constitution d'un théâtre.
- Le théâtre était considéré comme une école de mauvaise mœurs par les puritains. Elle va le protéger de ceux-ci.
Le premier théâtre est construit en 1576 en bois : "Le Théâtre", puis construction du Globe (Shakespeare y jouera 35 pièces). Il sera brûlé lors de la représentation de Henri VIII en 1613.

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William Shakespeare :


On retiendra de ses tragédies "Roméo et Juliette" (1595), "Hamlet" (1600), "Le roi Lear" (1606) et "Macbeth", de ses pièces historiques : "Richard VI" et "Henri VII"; de ses comédies : "La mégère apprivoisée", "Songe d'une nuit d'été", "Comme il vous plaira".
Il faut attendre Voltaire pour reconnaître Shakespeare en France. En 1776, il est traduit par Tourneur et plus tard par Victor Hugo. Son théâtre n'est pas didactique. Il a pris une grande liberté et est capable de jouer en vers ou en prose, et aime le surnaturel.

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Le personnage d'Hamlet n'est pas de Shakespeare mais de Saxo Grammaticus (12ème siècle) dans ses "histoires danoises". Hamlet est un prince danois. Au 5ème siècle, il simule la folie pour venger son père puis s'exile en Angleterre. Dans cette histoire, le dénouement est heureux. L'originalité ne vient pas de l'histoire mais de la façon dont il l'a reprise. Il a rendu la pièce plus moderne à cause de l'angoisse (la mort, la folie incertaine), son oeuvre s'appelle alors : "La tragédie d'Hamlet, prince du Danemark", ce qui permet de mieux situer la pièce.

Pièce qui se compose de cinq actes :


Acte 1 : Apparition d'un spectre : surnaturel.
Acte 5 : Hamlet meurt, climat lugubre et macabre.
Les actes 2, 3 et 4 ne sont pas séparables car il y a unité de lieu, le château. Ce sont donc les scènes qui sont importantes, et correspondent très bien à des séquences.

On a du mal à trouver un fil conducteur entre l'acte I et l'acte V. Trois intrigues sont menées en même temps, ce qui contribue à la richesse de l'oeuvre :

Intrigue politique : Le roi Hamlet est mort (Claudius lui succède). Le Danemark et la Norvège sont en guerre (le Royaume va mal).
Intrigue sentimentale : Entre Ophélie et Hamlet. Il lui écrit une lettre d'amour et la congédie dans un couvent. Cette dernière mourra d'amour.
Acte V scène 1 : "J'aimais Ophélie" puis "venons en à une autre affaire".
Intrigue principale. Hamlet va t-il réussir à venger son père en tuant Claudius ?
Acte 2 : Il veut percer le secret de Claudius car il a un doute. Hamlet ne veut pas devenir un criminel. Claudius veut percer le secret d'Hamlet.
Acte 3 : L'occasion de le tuer se présente mais Claudius est en prière. S'il meurt, il ira alors au paradis. Hamlet tue Polonius. Les choses vont bouger, la mort est en place. Mais à présent, c'est Hamlet qui est sur la défensive.
Acte 5 : Plein de morts, retombée tragique de l'action. La reine Gertrude (empoisonnée), Laertes, Claudius, et Hamlet meurent

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 Ophelia, John Everett Millais (1851)


Hamlet, monologue (Acte III, scène I) : 



HAMLET. - Etre, ou ne pas être, c'est là la question. Y a-t-il plus de
noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune
outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à l'arrêter
par une révolte ?


Mourir... dormir, rien de plus ;... et dire que par ce
sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures
naturelles qui sont le legs de la chair : c'est là un dénouement qu'on doit
souhaiter avec ferveur. 


Mourir... dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là
est l'embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la
mort, quand nous sommes débarrassés de l'étreinte de cette vie ? Voilà
qui doit nous arrêter. C'est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité
d'une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les
flagellations, et les dédains du monde, l'injure de l'oppresseur,
l'humiliation de la pauvreté, les angoisses de l'amour méprisé, les
lenteurs de la loi, l'insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite
résigné reçoit d'hommes indignes, s'il pouvait en être quitte avec un
simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous
une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette
région inexplorée, d'où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté,
et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous
lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ?

Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches;ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d'action...


Shakespeare, Hamlet, Acte III scène 1, Le monologue d'Hamlet





Hamlet ou la douleur d’exister (article toujours en cours) :


 « L’existence, ici, ce n’est pas autre chose que le fait que le sujet, à partir du moment où il se pose dans le signifiant, ne peut plus se détruire, qu’il entre dans cet enchaînement intolérable qui se déroule immédiatement pour lui dans l’imaginaire, et qui fait qu’il ne peut plus se concevoir que comme rejaillissant toujours dans l’existence. »

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Voilà pour un effet de signifiant sur le sujet, effet qui n’est pas de vivre sa vie selon ce qui est antérieurement écrit sous forme de destin inconscient, mais effet d’intolérable projection, de
réitération éternelle qui franchit la barrière de la mort. Cet effet affecte le sujet non pas par le désir, mais dans la douleur, que Lacan appelle une intolérable douleur d’exister. Dans ce registre-là, le désir n’est pas le produit induit par l’opération signifiante, il est ce que le sujet mobilise pour couvrir, atténuer, voiler, s’interposer entre lui et cette douleur de l’existence.

Ce monologue est pour Lacan un grand exposé sur cette douleur d’exister qui résulte de l’existence du signifiant. Regardons ce que la critique littéraire en fait. Ses interprétations se
situent entre les deux pôles d’une lecture psychologique et d’une lecture universelle. L’extrême de la première lecture y voit une thématique (le suicide) qui tracasse un personnage (Hamlet) et la position ou la réponse de ce personnage selon sa psychologie. Dans la lecture universelle, le personnage n’est que le support, dépassant toute psychologie individuelle, d’une question sur la nature de l’Autre et son rapport au Pouvoir. Il faut noter que, si l’on s’en tient strictement à ses dires, sans y injecter des motivations psychologiques qui varient toujours selon les modes des époques, Hamlet y élève son tourment individuel à une « question » – that’s the question – question à laquelle Hamlet répond dans ce monologue, et sa réponse se rapproche,  de l’affirmation, faite par Lacan en 1972 devant l’auditoire de’Université de Louvain, que « la mort est du domaine de la foi ».

Hamlet ne se demande pas, en effet, si dans son cas il ne serait pas mieux de se suicider. Il ne fait pas, comme certains le soutiennent, un bilan de son état actuel afin de pouvoir se décider sur sa stratégie à déployer. Sa question va infiniment plus loin. Elle concerne l’impossible savoir sur la mort. Sa question est de l’ordre d’un que faire ? dans une époque où l’Autre – ni le destin, ni le Bien – ne répond plus. Face aux coups que la tuché – la « fortune » (la fortune en tant que hasard) – inflige, faut-il vivre en les supportant, ou faut-il mourir en s’y opposant ? La question n’est pas : faut-il supporter les coups aléatoires de la vie (to suffer the slings and arrows of outrageous fortune, de souffrir les flèches et les coups d’une indigne fortune) où s’y opposer pour les arrêter (Or to take arms against a sea of troubles, and by opposing end them, prendre les armes contre une mer de troubles et de leur faire front et d’y
mettre fin) ? Si on pouvait arrêter les malheurs en s’y opposant, il n’y aurait pas de « question », ce serait simplement la chose à faire. Cette interprétation est d’ailleurs aussi un non-sens de par le concept même de « fortune », de tuché. Il n’y a aucune possibilité de s’opposer aux coups du hasard ; l’alternative formulée par Hamlet, c’est que soit on supporte l’aléatoire, soit on s’y oppose, mais alors on meurt dans le processus, on choisit le not to be. La critique a trouvé là une référence à Aristote, qui décrit comment les Celtes, plutôt que de fuir en cas de danger, attaquaient les vagues avec leurs épées, geste héroïque mais évidemment désastreux. Alors, lequel des deux est le plus héroïque (nobler in the mind) ? La question a pu se poser – et l’exemple des Celtes en montre une réponse – mais elle n’est déjà plus valable pour Hamlet. Elle n’est plus valable depuis l’intervention du spectre. Parce qu’elle suppose un Autre qui existerait, elle suppose que l’héroïsme aurait, en quelque sorte, du poids dans une balance qui existerait quelque part. Mais c’est là exactement où les choses vacillent pour Hamlet. Est-ce que l’Autre existe ? N’est-ce pas ce que le message du spectre met profondément en doute ? Et qu’est-ce qui garantit que la mort est une vraie fin, que les catégories qu’installe le langage sont fiables, et que rien ne survit à la mort ? Qu’est-ce qui peut bien fonder la croyance que la mort, le not to be est l’arrêt de la douleur, si justement, il y en a un qui revient pour lui dire que son être "being" brûle dans une zone de douleur infinie ? Qu’il y en a un qui, justement, vient faire vaciller toute croyance dans les fondements mêmes du système de l’Autre et des frontières que cet Autre établit ? Est-ce que quelque chose après la mort (something after death) ne continuerait-il pas de jouir, dans un infini étranger à toute prise langagière ? L'au-delà de la vie nous délivre-t-il de la vie ?

A suivre

Blas P. (La Note Blanche)

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