27 nov. 2016

Lettre d’Edvard Munch à Axel Romdahl

L’iconique Cri d’Edvard Munch ne doit pas éclipser le reste de l’œuvre du plus célèbre des peintres norvégiens (12 décembre 1863 – 23 janvier 1944), pionnier de la veine expressionniste en Europe. La vie personnelle de Munch était d’une difficulté extrême, émaillée de crises et d’une santé défaillante ; cela ne l’a pourtant pas empêché de léguer au monde des milliers de dessins et de pages, dont la plupart sont aujourd’hui conservés en Norvège. Dans cette lettre à Axel Romdahl (1880 – 1951), un historien de l’art et conservateur de musée suédois, le peintre évoque L’Enfant malade, un tableau de jeunesse peint à Paris en 1885. Ce tableau lui a permis de mettre à l’épreuve sa technique de création par la répétition du même motif. La ponctuation de la lettre n’a pas été rétablie, car Munch écrit ainsi, de façon discontinue, avec des tirets, des pauses et des décrochages, ce qui amène certains critiques à rapprocher sa prose de la technique du « flux de conscience ».

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"Je suis tellement habité par cette image"


Cher Axel Romdahl,

Merci pour la lettre ! J’étais heureux d’avoir de tes nouvelles –

Oui il est possible qu’un jour au cours de l’hiver je prenne la direction de Gøteborg – Mes difficultés tu les connais : mon « embarras » en ce qui concerne la vie mondaine

Je ne suis malheureusement pas capable d’autre chose que de rester assis au fond d’un café avec un ami – cela ne s’est pas amélioré avec le temps – Oui, « l’enfant malade »
C’est au fond assez curieux – Je suis tout à fait contre ce qu’on appelle une fabrique de tableaux – faire des répliques pour la vente – Mais je dis,  il ne faut jurer de  « rien» – et j’ai plus souvent [copié]* mes tableaux – Mais il y a toujours une évolution et jamais la même –
Je construis un tableau à partir d’un autre.
Comme avec L’enfant malade qui est dans notre galerie sur lequel j’ai travaillé une année – Combien de fois ne l’ai-je pas repeint et gratté – Je me suis finalement arrêté quand il n’était simplement plus possible d’y travailler –

Je n’étais pas arrivé à rendre ce que je voulais – Mais j’en avais sauvé l’âme !

Longtemps le tableau est resté plus puissant et plus éclatant de couleur – C’est pourquoi j’ai pu continuer à peindre cette image – mais alors sur différentes toiles –
Ah oui le prix ! – On a vu des prix surprenants pour les tableaux ces dernières années – 15 000 couronnes c’est beaucoup mais je crois que si l’on ne vend pas les prix se maintiendront.
Moi-même je n’ai eu que 2 000 couronnes en tout pour les 3 tableaux dans notre galerie, celle de Thiels et la vôtre –

Si je veux en posséder un je peux toujours le peindre – C’est après d’innombrables essais de persuasion et presque des menaces que j’ai fini par accepter de le vendre à la galerie de Dresde
pour la somme proposée de 25.000 couronnes – C’était évidemment énorme – Je suis allé 2 fois à Dresde pour persuader le directeur de ne pas acheter
Maintenant j’ai entendu dire que le tableau est mis à la cave –

J’ai peint encore un tableau
Mais que celui-ci ait été vendu – J’avais juré de ne pas m’en séparer –

Maintenant je me suis laissé persuader de l’envoyer à l’exposition de Carnegie
J’ai reçu une lettre du directeur qui exprime avec emphase son enthousiasme et celui des autres pour le tableau – et j’ai presque l’impression que je peux m’attendre à une proposition d’achat – et alors probablement de la galerie Carnegie –

Enfin que dire – Il est tout à fait désagréable de refuser –

Tous ces tableaux sont différents – Certains me reprochent d’en avoir peint des quantités – Mais je dis : quand je suis tellement habité par cette image – et – n’est-ce pas aussi valable que
de peindre des centaines de pommes ou de violons sur une table –

Par ailleurs – est-ce vrai qu’un peintre en réalité ne peint qu’un seul tableau ? Qu’est-ce qui fait que ce tableau ait du succès partout que ce soit une toile ou une estampe ?

* Le verbe ici est proposé par la traductrice.

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