4 mai 2017

Lettre de George Sand à Sainte Beuve

Cette lettre de George Sand date de trois ans avant son histoire d’amour avec Alfred de Musset et leurs déboires de Venise. Elle montre que l’amour entre eux n’est pas né au premier coup d’œil ! Comme de coutume dans la relation épistolaire de Sand et Sainte Beuve, la critique littéraire et les considérations sur le métier d’écrivain s’entremêlent d’anecdotes et de confidences personnelles.

SandSaintebeuve
"Et ne croyez pas trop à mes airs sataniques : 
je vous jure que c'est un genre que je me donne"

10 mars 1833

Sauf à passer pour une écriveuse comme Mme A…, je veux vous faire l’injure d’un billet. Je ne vous ai pas assez dit l’impression que m’a faite votre livre. Vous savez comme on est gêné par la figure des gens,… et juger n’est pas mon état. Mais il m’a pénétré le cœur comme eût fait le récit d’une vie douloureuse et puissante, dite avec des mots simples et profonds… Comme vous valez mieux que moi, mon ami ! comme vous êtes plus jeune, plus vertueux et plus heureux ! Après avoir écouté Lélia,vous m’avez dit une chose qui m’a fait de la peine : vous m’avez dit que vous aviez peur de moi. Chassez cette idée–là, je vous en prie, et ne confondez pas trop l’homme avec la souffrance. C’est la souffrance que vous avez entendue, mais vous savez bien comme en réalité l’homme se trouve souvent au–dessous, et par conséquent moins poétique, moins méchant et moins damné que son démon…

Dites–moi le soir que vous pourrez me donner, afin que j’aie l’autre moitié de mon manuscrit. Vos encouragements me donneront la force d’achever. Vraiment c’est une chose triste que ce livre, et s’il pouvait me faire concevoir l’ennui de mon ennui, ce serait le seul bien dont il fut capable. Mais travaillez au vôtre afin qu’il serve de contre–poison… Et ne croyez pas trop à tous mes airs sataniques : je vous jure que c’est un genre que je me donne. À propos, réflexion faite, je ne veux pas que vous m’ameniez Alfred de Musset. Il est très dandy, nous ne nous conviendrions pas, et j’avais plus de curiosité que d’intérêt à le voir. Je pense qu’il est imprudent de satisfaire toutes ses curiosités, et meilleur d’obéir à ses sympathies. À la place de celui–là, je veux donc vous prier de m’amener Dumas en l’art de qui j’ai trouvé de l’âme, abstraction faite du talent. Il m’en a témoigné le désir, vous n’aurez donc qu’un mot à lui dire de ma part : mais venez avec lui la première fois, car les premières fois me sont toujours fatales.

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