26 août 2016

Michel Butor, La Modification (1957)

Dès la première phrase, vous entrez dans le livre, ce livre que vous écrivez en le lisant et que vous finirez par ramasser sur la banquette du train qui vous a conduit de Paris à Rome, non sans de multiples arrêts et détours.

Le troisième roman de Michel Butor, paru en 1957, la même année que La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet,  Le Vent  de Claude Simon et  Tropismes  de Nathalie Sarraute, reçut d’emblée un excellent accueil de la critique. Couronné par le prix Renaudot, traduit dans vingt langues, c’est encore aujourd’hui le plus lu des ouvrages du nouveau roman.

"L'écrivain Michel Butor, figure du Nouveau Roman, est mort " (article):
http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/08/24/le-romancier-michel-butor-est-mort_4987526_3382.html

Michel Butor, le 5 décembre 1964, à Paris.

Résumé : 


Un homme prend un train pour Rome le matin en troisième classe. D’habitude il va à Rome régulièrement pour voyage d’affaire, le soir en première classe. Il va retrouver une maîtresse pour la surprendre et lui dire qu’il lui a trouvé une situation à Paris, ce qu’elle espère de lui, se séparant de sa femme et de sa vie actuelle. Mais une modification s’opère le long du voyage. Il se met à penser à l’absence induite de Rome, et croie que vivre au quotidien avec elle sera recommencer l’échec de son mariage. L’abandon de ce projet va être l’argument pour écrire le livre de la genèse de cette évolution. Ce livre est un questionnement perpétuel : qui êtes vous, ou allez vous, que cherchez vous, qui aimez vous, que voulez vous, qu’attendez vous, que sentez vous, me voyez vous, m’entendez vous ? C’est un livre sur la recherche de sa propre identité.

L’action du roman se déroule durant le trajet. On suit le cheminement de pensée de Léon Delmont, toutes ses réflexions et ses multiples décisions, lesquelles changent au fur et à mesure du trajet. Le roman est écrit presque intégralement à la deuxième personne du pluriel. Le lecteur est actif parce que la modification le concerne tout autant que le protagoniste. L’emploi de la deuxième personne du pluriel entraîne un double effet :

1/ une distance inhabituelle se produit vis-à-vis du narrateur / personnage ;

2/ une implication nouvelle du lecteur dans la narration. En outre, l’emploi du « vous » entraîne un processus de mise en abyme où le texte s’adresse à la fois au personnage, au lecteur et à l’écrivain.

La Modification est une expérience prenante pour le lecteur qui accepte de mettre une certaine attention dans sa lecture. Il faut garder le fil du récit pour profiter pleinement de la modification qui s’opère chez Léon Delmont.

L’emploi de la deuxième personne du pluriel fait de La Modification une expérience de lecture rare. Ce livre mérite donc d'être lu et relu pour sa qualité et sa technique littéraire.



La Modification, incipit : 


"Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant.

Vous vous introduisez par l’étroite ouverture en vous frottant contre ses bords, puis, votre valise couverte de granuleux cuir sonre couleur d’épaisse bouteille, votre valise assez petite d’homme habitué aux longs voyages, vous l’arrachez par sa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu’elle soit, de l’avoir portée jusqu’ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans cotre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins.

Non, ce n’est pas seulement l’heure, à peine matinale, qui est responsable de cette faiblesse inhabituelle, c’est déjà l’âge qui cherche à vous convaincre de sa domination sur votre corps, et pourtant, vous venez seulement d’atteindre les quarante cinq ans.

Vos yeux sont mal ouverts, comme voilés de fumée légère, vos paupières sensibles et mal lubrifiées, vos tempes crispées, à la peau tendue et comme raidie en plis minces, vos cheveux, qui se clairsèment et grisonnent, insensiblement pour autrui mais non pour vous, pour Henriette et pour Cécile, ni même pour les enfants désormais sont un peu hérissés et tout votre corps à l’intérieur de vos habits qui le gênent, le serrent et lui pèsent, est comme baigné, dans son réveil imparfait, d’une eau agitée et gazeuse pleine d’animalcules en suspension".


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