Haruki Murakami :
Né à Kyoto en 1949 et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié le théâtre et le cinéma, puis a dirigé un club de jazz, avant d’enseigner dans diverses universités aux États-Unis. En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l’attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon. Ont déjà paru chez Belfond Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (2002), Les Amants du Spoutnik (2003), Kafka sur le rivage (2006), Le Passage de la nuit (2007), La Ballade de l’impossible (2007 ; 2011), L’éléphant s’évapore (2008), Saules aveugles, femme endormie (2008), Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (2009), Sommeil (2010), la trilogie 1Q84 (2011 et 2012), Chroniques de l’oiseau à ressort (2012), Les Attaques de la boulangerie (2012), Underground (2013), L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (2014), L’Étrange Bibliothèque (2015), Écoute le chant du vent suivi de Flipper, 1973 (2016), le recueil de nouvelles Des hommes sans femmes (2017), Birthday Girl (2017), le diptyque Le Meurtre du Commandeur (2018) et De la musique, une série d’entretiens avec Seiji Ozawa (2018). Tous les livres de Murakami sont repris chez 10/18. Plusieurs fois pressenti pour le Nobel d littérature, Haruki Murakami a reçu le prestigieux Yomiuri Literary Prize, le prix Franz Kafka 2006, le prix de Jérusalem pour la liberté de l’individu dans la société en 2009, le prix international de Catalogne 2011 et le prix Hans Christian Andersen en 2016.
Chroniques de l'oiseau à ressort (2012) :
La frontière entre le réel et le surnaturel dans Chroniques de l’oiseau à ressort.
Chroniques de l'oiseau à ressort se situe dans le monde contemporain. Le langage ainsi que le caractère des personnages sont à la fois atypiques et modernes. Il n'y a que le héros, Toru Okada, qui reste banal, du moins au début du roman. Au chômage, suite à sa démission du cabinet juridique dans lequel il travaillait, il mène une vie tranquille dans une maison de banlieue tokyoïte aux côtés de son épouse Kumiko. Tout commence par les appels téléphoniques d’une mystérieuse inconnue qui prétend connaître le héros. Puis, vient le départ de son chat qui porte de même nom que son beau-frère, Noburu Wataya.
Sa femme rentre de plus en plus tard le soir, dîne rarement avec son mari et se fait de plus en plus distante. Toru Okada observe le matin de son départ, en fermant le dos de sa robe qu'elle porte un parfum qui lui est inconnu. Elle ne reviendra pas de cette journée de travail. Plus tard, le protagoniste trouve des cadeaux qu'on lui a offerts, dont le fameux parfum. Il reçoit une lettre de Kumiko où elle lui explique qu'elle le quitte pour un autre homme. Elle part en laissant toutes ses affaires et ne revient pas les chercher. Le lendemain une étrange tache violette apparaît sur la joue du héros.
A partir de ce moment, le héros rencontre des personnages originaux et variés : les sœurs Malta et Creta Kano, deux voyantes, sa voisine May Kasahara, jeune étudiante japonaise, et croise la route du lieutenant Mamiya, vétéran de la guerre de Mandchourie, celle de Cannelle et de Muscade, deux guérisseuses ou encore celle de Monsieur Honda, le voyant de la famille Wataya. Le mystère commence à apparaître, prendre racine subrepticement. Okada reçoit des appels anonymes. La recherche de son chat le met en relation avec une voisine étrange, May Kashara, avec une voyante énigmatique, Malta Kano, et la soeur de celle-ci, Creta Kano (qui, elle-même, a déjà connu le beau-frère de Okada, Noburu Wataya) puis enfin quelques distants parents qui ont séjourné en Mandchourie. Chacun a un passé, une histoire, qui semble se rattacher à un puzzle beaucoup plus grand que quiconque aurait pu imaginer. Tellement grand que, en tant que lecteur, on finit par se perdre. Rendu à ce point, c'est non seulement le chat mais l'épouse de Okada qui a disparu. En effet, Kumiko s'est enfuie sans laisser de trace, à part une lettre envoyée trois mois plus tard.
Un des épisodes marquants du roman est la visite du lieutenant Mamiya qui vient de la part d'un certain Monsieur Honda pour donner au héros une boîte vide suite au décès de ce dernier. Le lieutenant lui décrit une période de guerre et son expérience au fond d'un puits où il a perdu, comme il le dit, « une partie de son espoir ». Toru Okada suit son exemple en s'enfonçant au fond du puits de la maison des pendus dont tous les habitants se sont suicidés. Il ne part qu'avec une montre, une lampe et une gourde. Il reste une journée entière au fond de ce puits. A ce moment-là, on entre dans une dimension surnaturelle : le héros, après s'être endormi, passe « à travers » les parois du mur. Viennent ensuite Muscade et Cannelle, une guérisseuse et sa fille. Muscade rencontre Toru Okada sur un banc alors que celui-ci cherche la réponse à ses questions. Rapidement tous les deux ont des projets, surtout Muscade qui veut que Toru lui succède puisqu'il possède la même tache que son père. Tous ensemble ils achètent la maison des pendus où se trouve le puits où Toru Okada aime descendre quand il est en période de doute ou quand il veut passer de « l'autre côté » pour chercher une explication à la disparition de sa femme ...
Critique :
Ceux qui connaissent déjà Haruki Murakami savent bien qu’il est absolument impossible de résumer ses romans. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. Ils savent également qu’ils sont tellement riches, complexes, peu explicites et que nous passons forcément à côté de beaucoup de choses, chacun y piochant ce qu’il peut, ou ce qu’il veut. Une fois de plus, celui-ci ne fait pas exception. Parmi les multiple thématiques abordées dans cet ouvrage, nous pouvons notamment citer, une réflexion sur le monde du travail et la vie quotidienne au Japon, le traumatisme de la guerre en Chine, et de la débâcle de 1945, la culpabilité, la manipulation politique et individuelle, l’importance du rêve, la difficulté d’assumer ce que l’on est ... Autant de thèmes, et bien d’autres, qui passent, comme un rêve éveillé dans ce roman envoûtant de plus de 800 pages qui réussit l’exploit, malgré ses digressions et ses récits en apparence sans liens les uns avec les autres, de repêcher le lecteur juste quand il a l’impression d’être complètement perdu.
L’auteur nous perd, nous hypnotise, nous présente l’un après l’autre une multitude de personnages pas toujours liés les uns aux autres, avant de nous récupérer, in extremis, et de donner, dans un final extrêmement prenant, une cohérence à l’ensemble. Chroniques de l’oiseau à ressort est un roman qui peut passer en quelques pages de la violence la plus noire à la poésie la plus lumineuse, de l’horreur à l’humour, de tragique au comique, toujours en finesse, sans la moindre lourdeur. Un roman à la fois poétique, réaliste, fantastique, historique, onirique ... Un roman que l’on referme comme on sort d’un rêve, enchanté. Tout cela avec cette inquiétante et étrange impression, d’avoir saisi quelque chose d’important.
Conclusion :
Les quelques 900 pages du roman sont une confrontation entre un homme auquel nous nous identifions assez facilement et un univers fantasmagorique. Les oppositions ne s'appliquent pas seulement aux personnages mais aussi aux lieux et même au contexte spatio-temporel. Chaque élément du "puzzle" apparaît d'abord comme anachronique ou futile, mais prend sens progressivement. Haruki Murakami nous égare dans une multitude de détails et invente une frontière tangible entre le monde réel et le monde surnaturel, ses personnages transitant avec une facilité déconcertante d'un monde à l'autre, obligeant ainsi le lecteur à modifier et à élargir, comme Toru Okada, sa vision de la réalité.
1Q84, Haruki Murakami (2011 et 212)
A noter que j'ai également lu 1Q84 juste avant d'entreprendre les Chroniques.
Aomamé, une jeune femme dans la vingtaine, prof de gym et tueuse à gage pour la bonne cause à ses heures, va avoir le douloureux privilège de pénétrer dans cet univers. Croyant prendre un raccourci vers un quartier de Tokyo où on l’attend d’urgence, elle emprunte, un escalier de secours. Et la voici dans ce monde étrange.
Elle ne va prendre conscience de sa situation que petit à petit… Détail par détail. Les policiers n’ont pas les mêmes revolvers. Dans le ciel, il y a deux lunes. C’est notre monde, mais il est différent.
"1Q84, voilà comment je vais appeler ce nouveau monde, décida Aomamé. Il faut que je m’acclimate le mieux possible à ce monde lourd d’interrogations. Comme un animal lâché dans une forêt inconnue. Pour survive et assurer ma sauvegarde, je dois en comprendre au plus tôt les règles et m‘y adapter. "
Le récit d’Aomame est alterné avec celui de Tengo, un professeur de mathématiques qui habite lu aussi ce monde parallèle. Il se lance dans une fameuse embrouille. Un éditeur un peu véreux, lui demande de réécrire le roman un peu gauche d’une jeune et jolie auteure. Car il en est convaincu : elle pourrait être dotée de nombreux prix.
"Une jolie fille de dix-sept ans, rien que ça, ça devrait alimenter les conversations. L’intérêt médiatique serait totalement différent, je dois le dire, si le lauréat était un trentenaire, ressemblait à un ours sortant d’hibernation et était prof, par exemple, dans une école préparatoire. "
Tengo s’exécute avec brio, le livre obtient le prix des jeunes auteurs et devient un best seller. Mais il nuit fortement aux intérêts d’une secte aux pouvoirs mystérieux, qui va prendre Tengo en chasse.
Aomame se met, elle aussi, à la recherche du jeune homme, qu’elle a aimé quand elle était à l’école primaire. Un contact physique presque insignifiant les a tous deux marqués à vie.
"Il n’y a qu’un homme que j’aime déclara Aomamé. J’ai aimé ce garçon quand j’avais dix ans, je lui ai serré la main"
Aomame retrouvera-t-elle Tengo ? Échapperont-ils aux desseins malfaisants de l’organisation secrète ?
1Q84 démarre sur les chapeaux de roues. Le premier tome est magistralement mené, l’intrigue est distillée avec intelligence et raffinement, portée par une écriture douce, presque naïve. La lecture de ce roman original est un plaisir grâce à ses personnages si magistralement façonnés, ses crimes, ses créatures étranges, etc. Qu’on n’y cherche pas de grands enseignements sur notre monde et nos perceptions, il n’y en a pas. Laissons plutôt Murakami nous raconter simplement une histoire, puisqu’il le fait si bien !
Blas Priscille
Ses livres ont suscité des critiques positives et remporté de nombreux prix, dont le Franz Kafka, la Coupe du monde fantastique, Jérusalem et le Hans Christian Andersen pour la littérature. Quel plaisir d'avoir lu cet extrait et cette critique de votre part! hackear
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