9 juin 2015

Spinoza : Ethique

Spinoza : Ethique (1)

(Résumé)

L’Ethique


La connaissance comme mode de vie :


La première partie de l’Ethique est un discours théologique comportant les éléments d’une ontologie, les concepts d’un rapport entre l’Etre et Dieu. Tous les êtres ne sont qu’une expression de cette unique substance – y compris tous les êtres corruptibles.

Mais est-ce vraiment une théologie ? Certains contemporains de Spinoza n’ont pas manqué d’y voir un discours qui fonde l’athéisme. Pourquoi Spinoza parlerait-il alors de la connaissance de Dieu comme de la condition du souverain bien et de la perfection (TTP, ch.4) ?

Le paradoxe est que Spinoza prétend fonder le salut sur la connaissance rationnelle de Dieu et non sur la foi. On peut penser que ce texte est un déguisement et que Spinoza aurait pu éviter les termes Dieu, salut, etc. et même les questions qui touchent à son essence ou à son existence. N’aurait-il pas voulu faire passer pour une théologie morale ce qui ne serait qu’une destruction de la théologie ? Non parce que : premièrement, l’Ethique n’était pas destinée à la publication ; on ne voit pas pourquoi il aurait voulu y faire des concessions ; deuxièmement, quand il parlait de sa philosophie, Spinoza restait prudent et ne la communiquait que peu.

Comment interpréter cette première partie théologique ? Il faut être patient et demander quelles étaient les intentions de Spinoza lorsqu’il a commencé à parler de salut dans le Court Traité et le Traité de la Réforme de l’Entendement. Le salut est l’institution d’une vie nouvelle qui serait en rupture avec le mode de vie vulgaire. Le vulgaire n’est pas péjoratif chez Spinoza. Il signifie seulement un mode d’existence caractérisé par le mimétisme et le passionnel, c’est-à-dire un mode de vie attaché à des biens peu durables et qui de toutes façons ne peuvent être partagés, qui sont caractérisés par la rareté – ce qui fait croire que la possession de ces biens par les uns est d’emblée une privation pour les autres. Le vulgaire pour Spinoza, c’est l’ensemble des hommes qui s’imaginent être lésés par le bonheur de leur semblable ; c’est l’ensemble des envieux. Le mode de vie vulgaire est le mode de vie commun par lequel nous devons nécessairement passer. Nous devons avoir fait l’expérience de l’envie et de la haine pour nous orienter vers le salut ; c’est ce que montre la proposition 34 de la IV° partie. L’expérience de l’altérité par laquelle nous commençons est toujours celle de la discorde et de la contrariété – entre les hommes et à l’intérieur de chaque homme (haine de soi, remords, culpabilité). Le salut est une émancipation de la misère. La vie philosophique ou du moins la vie que Spinoza espère trouver dans la philosophie et qu’il appelle béatitude, réunit la connaissance et la puissance, c’est-à-dire la joie du point de vue affectif. La connaissance est la jouissance qui constitue le souverain bien.

Le Traité de la Réforme de l’Entendement est une sorte de biographie intellectuelle : il s’agit de commander par la connaissance dont le degré supérieur est celle de Dieu, un bien véritable dont la découverte et la possession auront pour prix une éternité de joie continue. Spinoza s’exprime en philosophe, mais le style est celui d’une ferveur. La philosophie lui est révélée comme une entreprise de salut. Il cherche à comprendre ce qui dans la société des hommes développait les passions et il est amené à opposer la conception philosophique du salut à l’approche religieuse. Il prétendra fonder un salut plus assuré dans la connaissance que dans la foi. Spinoza est entré en philosophie comme on se guérit d’une maladie.

La maladie est le paradigme de la vie insensée, du malade aliéné et mutilé. Aliéné parce que le malade est inconscient de lui-même. L’insensé est celui qui vit à son insu. Mutilé parce que cette vie est faite d’affections passives, c’est-à-dire d’une modification fortuite des états de l’âme et du corps dans une ignorance complète des causes et de la nature des choses qui l’affectent. . Ainsi le premier sens du mot « éthique » est dans le Traité de la Réforme de l’Entendement. La philosophie sera éthique si son projet est de rendre conscient le processus de la servitude et par là d’expliquer la souffrance de la plupart des hommes ou lieu de commencer par une condamnation moralisante de la vie humaine, une satire. Dans un premier temps, l’éthique essaie de saisir les raisons de la servitude et en particulier pourquoi les hommes sont complices de la servitude et y adhèrent. En second lieu, il s’agira de restituer à l’homme toute sa puissance de penser. Pour Spinoza, il apparaît que la puissance de penser n’est pas seulement la condition de la puissance d’exister et d’agir : elle est déjà elle-même par elle-même la puissance d’exister et d’agir. Les modes de connaissance sont toujours en même temps des modes d’existence.

La connaissance par ouï-dire est un mode de connaissance fondé sur l’extériorité : le plus bas. La connaissance discursive n’est pas seulement une façon de penser, mais une façon de voir. Les démonstrations sont les yeux de l’âme. C’est une réappropriation de la vérité par l’esprit. La vérité n’est jamais quelque chose qu’on découvre hors de soi. Elle est immanente à l’exercice même de l’esprit. C’est ici la vie autonome de l’esprit qui s’en trouve exaltée. La vérité en tant qu’idée est un mode d’agir et de penser et ne peut pas être un simple tableau ou spectacle. La vérité ne peut pas supposer une quelconque allégeance, une quelconque soumission. Elle ne peut être un instrument de domination. Selon Spinoza, elle ne demande aucune attitude d’humilité, et c’est pourquoi Spinoza rompt avec Descartes. Il ne s’agit pas de concevoir l’infini pour s’y soumettre. Descartes dit que l’on peut concevoir l’infini mais pas le comprendre. L’infini est pour Spinoza immanent à la pensée car l’infini est la puissance de produire et d’exister dans l’ordre même de la pensée. Ce que demande la vérité, c’est seulement le travail autonome de l’esprit. L’esprit comprend et veut s’assurer d’avancer dans le vrai par le vrai. Le vrai est une puissance, c’est la puissance même de l’infini. 

Ethique 2 : 


L’immanence :


Dans la lettre 76 à Burgh, Spinoza écrit : « Je ne prétends pas avoir rencontré la meilleure philosophie, mais je sais que je connais la vraie philosophie ». Le meilleur implique une subjectivité qui commence par errer avant de trouver ce qui lui paraît le meilleur, tandis que le vrai implique une conscience immédiate de certitude, une conscience d’adéquation. Le vrai est inséparable de l’acte de comprendre, de sorte que douter du vrai serait aussi paradoxal que de dire que l’on ne conçoit pas ce que l’on conçoit. Concevoir implique une forme, c’est-à-dire une nécessité interne du concept. On ne peut douter de ce que l’on détient quand on procède de la raison à la conséquence. La certitude n’est rien d’autre que l’essence objective elle-même, c’est-à-dire la manière dont nous sentons l’essence. L’essence objective, c’est par exemple l’idée du cercle ; l’essence formelle c’est "l’idea", c’est l’objet de l’idée. La certitude, c’est la conscience que nous sentons une essence formelle. Pour avoir la certitude du vrai, il suffit de former une idée vraie. Il n’y a pas de distance possible, comme chez Descartes, entre l’esprit et le vrai. Le vrai est la conscience de l’adéquation. C’est pourquoi le titre complet de l’Ethique est : « démontrée selon l’ordre géométrique ».

L’Ethique, au sens le plus courant, désigne une règle de vie. Désormais, il y a une vraie vie, une vie consciente d’elle-même, capable de se posséder en vérité, qui ne s’effectue pas à son insu, dans la dépendance des causes extérieures. L’ordre géométrique est celui par lequel les idées, et en conséquence les modes d’existence, se suivent dans l’ordre géométrique réel et dû. C’est l’enchaînement qui va des causes aux effets (contrairement à l’ordre empirique ou inductif), de l’idée ou des raisons aux propriétés, que doit respecter notre puissance de comprendre si elle veut saisir adéquatement le réel et se saisir elle-même. L’Ethique est la compréhension de la vie et en particulier de la vie humaine, lors de sa production, et une compréhension, une prise de possession intellectuelle de cette vie. Selon cet ordre géométrique, synthétique (opposé à l’ordre analytique des Méditations de Descartes), cet ordre ne peut être saisi sans que soient écartés de la pensée et des conduites, les pièges et les illusions produits par le faux savoir. C’est pourquoi les démonstrations de l’Ethique s’accompagnent toujours de scolies ou d’appendices dans lesquels s’effectue la critique de la connaissance par ouï-dire ou par expérience vague – la connaissance imaginative. Ce sont des thèmes qui ressemblent à des thèmes théologiques : recherche du salut, de la vérité par un certain rapport à Dieu. Le Court Traité (1650-60) contient ces thèmes mêmes de l’homme, de Dieu, du salut. Autre point commun entre les deux textes : le projet éthique anime déjà la compréhension de Dieu.

La doctrine de l’immanence apparaît d’entrée de jeu comme une exigence éthique et non pas d’abord comme une exigence théorique. La doctrine de l’immanence est liée à l’idée que Spinoza se fait de la vérité. Dieu n’est plus l’être transcendant qui fonde par sa véracité la vérité objective de l’idée. Dieu est cette puissance qui est présente à la pensée quand la pensée conçoit quelque chose dans l’ordre dû. La puissance démonstrative de la pensée exprime la puissance divine.

Questions pour les post-kantiens : la connaissance peut-elle par elle-même produire le salut ? Comment la connaissance peut-elle constituer le salut ? Comment se fait-il que la connaissance ne soit pas un simple instrument, un simple moyen au service d’une volonté indépendante d’elle ? Il arrive à Spinoza de concéder que l’Ethique soit fondée sur la métaphysique et la physique – ce qui ne veut pas dire que la métaphysique constitue une réflexion théorétique indépendante de ce qu’elle fonde car cela est interdit par la conception immanentiste de Dieu. La connaissance ne produit pas seulement des concepts, elle produit la puissance de l’entendement, c’est-à-dire la liberté de l’homme. Se comprendre dans le tout du réel, montrer comment l’infini est présent dans chacun de ses actes ou de ses pensées, c’est porter la vie à sa plus haute perfection possible, puisque c’est délivrer l’esprit de l’illusion qu’entretiennent les passions d’être déterminé entièrement par l’expérience, c’est-à-dire par l’extériorité. La première partie de l’Ethique, "De Deo", consiste déjà à délivrer l’esprit des affections qui limitaient sa puissance.

La connaissance philosophique ne peut être que système. L’idée de système est l’idée d’une unité intrinsèque de la pensée. Notre pensée ne s’effectue que comme une partie ou une expression de la Pensée. L’idée de système contient ici l’idée de la préexistence de la Pensée qui est un attribut de Dieu. Or l’attribut exprime totalement et adéquatement sa substance. La substance peut avoir une infinité d’attributs, pourtant chacun des attributs exprime totalement la substance, Dieu, l’existence et la puissance de Dieu. Il y a réciprocité entre substance et attribut : Dieu est la Pensée, Dieu est l’Etendue. Dieu est la puissance infinie qui s’effectue dans chacun des attributs où elle s’exprime. Quand nous pensons une idée à partir de sa raison d’être, dans son ordre géométrique, c’est la Pensée infinie qui s’effectue en nous, au point que l’immanence a immédiatement un sens éthique, sans que nous ayons besoin d’aborder la question de la conduite. Car en s’effectuant dans la pensée, dans ma pensée, la pensée infinie délivre l’esprit des première formes de connaissance, inadéquates, qui ne saisissent que des effets sans leurs causes. Le système est donc chez Spinoza la forme même que prend le salut.

(...)

A suivre

Blas Priscille (La Note blanche)

Liens : 

Spinoza : lecture des propositions : 
http://spinoza.fr/lecture-des-propositions-lxvii-a-lxxiii-du-de-servitute/

"Réflexions sur la mort de Spinoza", L. Balagué (article mediapart): http://blogs.mediapart.fr/edition/la-mort/article/271110/reflexion-sur-la-mort-chez-spinoza

« La superstition est le plus sûr moyen auquel on puisse avoir recours pour gouverner la masse. Si bien qu’on n’a pas de peine, sous couleur de religion, tantôt à lui faire adorer ses rois comme des Dieux, tantôt à les lui faire détester comme fléaux permanent du genre humain »

Préface du Traité théologico-politique

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