29 mai 2016

Moondog, génie musical en trois morceaux (analyse)

Encore un nom à ranger au Panthéon des musiciens inclassables, ignoré de son temps, snobé par le milieu classique et apprécié par de rares amateurs de jazz aux oreilles pointues et grandes ouvertes. Analyse de trois morceaux pour saisir le talent de ce génie de la musique qui aurait eu 100 ans.



Moondog aux olympiades de poésie à Londres dans les années 80 

Tout le monde connaît Moondog, ou l'apprécie sans le connaître. Fils de pasteur évangéliste né dans le Kansas en 1916, Louis Thomas Hardin devient aveugle à l'âge de 16 ans et plonge alors dans la musique via un établissement spécialisé où il apprend le violon, le piano et l'orgue. Entre ses premières compositions en braille, sa vie de "Viking de la Sixième Avenue" à New York, et la fin de sa vie en Europe, rien ne le destinait à occuper le rôle qui allait être le sien dans l'histoire de la musique.

Ses morceaux, tel "Bird's Lament" tant de fois repris par des publicités, ou des compositions plus singulières, résonnent ou "parlent" à l'auditeur sans qu’il comprenne vraiment pourquoi. Ils l'ont fait entrer clandestinement dans la mémoire collective. Le saxophoniste de jazz Sylvain Rifflet, avec son compère saxophoniste américain Jon Irabagon, a repris certains de ses thèmes. Leur album-projet "Perpetual Motion" fait revivre l'art et l'esprit de ce clochard céleste. A travers trois morceaux,Sylvain Rifflet nous propose de parcourir l’univers sonore, la technique et un bout de vie de celui qui a notamment côtoyé et inspiré Charlie Parker, Allen Ginsberg, Léonard Bernstein et Philip Glass...Composé en hommage à Charlie Parker, "Bird's Lament" (composé en 1955, aussi appelé "Lament 1") est sans doute son plus célèbre morceau, courte pièce pour saxophone et percussions. Tout le génie de Moondog est là, condensé en deux minutes. Précision du trait, pulsation rythmique implacable.


Le titre vient d’un hommage de Moondog à Charlie Parker, qui se faisait appeler Bird. Dans la période où Bird habite à New York, il rencontre Moondog et les deux projettent alors d’enregistrer un disque. A la mort de Charlie Parker, Moondog compose ce morceau qui est totalement écrit, donc pas du tout un morceau de jazz. Il représente assez bien la musique de Moondog. [...] Le morceau est un mélange entre des saxophones classiques, un ensemble de cordes, qui pourrait presque être un son de synthétiseur, et un ensemble de percussions, qui s’apparente au fondement rythmique de la musique de Moondog, à savoir la tradition amérindienne. Sa musique plaît avant tout parce que la mélodie est géniale. La même forme est répétée deux fois. Une fois où l’alto joue la mélodie dans les graves, une deuxième fois où il la joue dans les aiguës. Une sorte de fanfare grandiloquente avec trompettes et trombones entre à la fin. Le tempo est parfait, c’est extrêmement bien exécuté. Ce morceau a été enregistré en 1953. L'album intitulé "Moondog and his Friends", est sorti sur le label Epic.


"Oasis" est un 5 temps, avec énormément de mesures impaires. Il était assez novateur de ce point de vue car c’était un des premiers à utiliser énormément de mesures composées, c'est-à-dire 5 temps (souvent 3 temps plus 2 temps, chez lui c’est parfois aussi 2 temps plus 3 temps). C’est un très fort rythmicien, très fort percussionniste, très bon chanteur, très bon compositeur. Bref un musicien aguerri, très performant. Donc c’est un 5 temps, c’est un canon. Complètement obsédé du canon Moondog, du canon Moondog, du canon façon Bach. C’est un canon assez compliqué parce que très long. Il y a des canons très courts chez Moondog, des petits madrigaux, qu’il composait comme des petites chansons, des petites ritournelles. D’ailleurs quand il les enregistre elles n’ont pas vraiment de fin, cela fini souvent en decrescendo. C’est aussi un des premiers à faire du re-recording, c'est-à-dire à empiler des couches d’instruments, parfois des mêmes instruments. Ce morceau a été enregistré en 1995. L' album intitulé "Big Band", est sorti sur le label Trimba Music.


Du point de vue de la composition, c’est une autre forme. Il y a une partie exprimée, une sorte de marche lente qui monte de manière chromatique, qui créée une tension. Par-dessus ça, vient s’ajouter un thème qui semble sorti tout droit de Star Wars, très grandiloquent. Quand j’ai monté le projet autour de la musique de Moondog, je me suis dit que "Black Hole" c’était vraiment le "dark side of Moondog", le côté sombre du personnage, en décalage avec les chansonnettes, l’humour dans sa musique, les références à des choses joyeuses, gaies, légères même. Je ne pense pas du tout que c’était quelqu’un de léger, mais plutôt très érudit, très profond, fermé sur lui-même, réfléchi. Bref, un intellectuel qui pensait sa musique. Avec ce morceau, il montre son côté sombre.

Retour sur la vie de Moondog en fiction : 

Pourquoi en 1947 décide-t-il de s'appeler Moondog ? Qui est cet homme déguisé en Viking qui se tient jour et nuit sur la Sixième Avenue de Manhattan, rassemblant les curieux autour d’étranges concerts ? Léa Cohen dans L'Atelier de la création dressait, en 2014, un magnifique portrait de ce garçon humble et passionné qui changea la face de la musique.


Portrait du percussionniste viking à écouter sur France culture:http://www.franceculture.fr/musique/moondog-l-inconnu-de-tous-ou-le-genie-de-quelques-uns


Moondog, Moondog (1969) :



Playlist :

1 - Theme
2 - Stamping Ground - 2:34
3 - Symphonique #3 (Ode to Venus) - 5:13
4 - Symphonique #6 (Good for Goodie) - 11:04
5 - Minisym #1 - 14:01
6 - Lament I, "Bird's Lament" - 19:47
7 - Witch of Endor - 21:30
8 - Symphonique #1 (Portrait of a Monarch) - 28:00


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